L’avis du serveur

J’écrivais qu’il est de bon goût de s’en remettre à l’avis du serveur quand se présente l’heure du choix. Ceci, pour la simple, et excellente raison, que ce dernier déjeune, ou dîne, selon le service, chaque jour sur place. Il a ainsi généralement goûté tous les plats proposés par le restaurant, plutôt dix fois qu’une. Il peut donc aisément vous aiguiller selon vos envies, ou, plus efficace, vers les meilleurs mets de l’établissement ; voir, les seuls qui valent la bouchée.

Le brave loufiat sait ainsi quel plat est surestimé, lequel est bien trop cher, comme celui qu’il dépose à la va-vite sur votre table, avant d’aller prestement se cacher derrière le bar, espérant être le seul d’entre vous à remarquer le degré de carbonisation des frites, la solitude hurlée des deux feuilles de salade.

Mieux encore ; il nous arrive de savoir ce que vous désirez, même si vous l’ignorez encore. Ainsi, ami américain, crois-moi lorsque je soutiens que tu ne veux pas un « tartare », bien que la consonance du mot t’inspire. Jeune homme de la grande banlieue, ne tente point d’impressionner tes potes en commandant non pas un « double cheeseburger supplément bacon saignant » comme les autres, mais un carpaccio ; tu découvriras, naïf, sous les quolibets de ton cheptel et le regard amusé du staff, que ce n’est pas une côte de bœuf version « XXL giant », mais plutôt, comme tu le diras toi-même, « trois tranches de jambon fade et super cher ».

Demande-nous! Je peux te décliner les saveurs, les couleurs, les effets secondaires sur ton intestin ; les plats trop assaisonnés, ceux à fort danger de régurgitation, ceux facteurs de diarrhée chronique, ceux qui feront dormir tout l’après-midi. Nous les boulottons chaque jour, jusqu’au dégoût, à la va-vite, entre deux commandes. Une fois engloutis, nous nous remettons à courir, et passons ainsi chaque met à l’épreuve de la digestion minute.

«Nous savons tout cela, car nous connaissons le restaurant, les âmes qui l’habitent, comme le marin reconnaît chaque grincement du bois de son esquif, chaque claquement de voile.»

Si nous sommes à même de vous aiguiller vers le plaisir, ou tout du moins vous éviter la déception, nous pouvons aussi, âmes bienveillantes, garantir la santé de votre portefeuille, ou la votre, pour peu que les deux ne soient pas étroitement liées. Seulement, il nous sera professionnellement difficile de désavouer « notre » restaurant, en public tout du moins. À vous alors d’être de fins observateurs : plutôt que l’écran de votre téléphone, scrutez les moues et mimiques du loufiat lorsqu’il vous entend éructer votre commande.

Nous connaissons l’état de salubrité de la cuisine ; nous savons quels plats sont destinés aux parieurs et autres aventuriers, quels desserts ont été préparés il y a maintenant cinq jours. De même, le planning des cuistots n’a plus de secret pour nous ; leurs coutumes non plus, leurs mauvaises manies encore moins. Ce savoir nous est indispensable, vital, et nous sauvons nos papilles et nos intestins grâce à celui-ci. Ainsi pouvons-nous vous recommander un plat à 15h, et savoir qu’il devient « zone interdite » après 18h. Chaque cuisinier a ses préférences : commander le plat qu’il préfère réaliser est gage de concentration, et d’un met final nappé d’amour et, peut-être, de talent. À l’inverse, lui commander en rafale les plats les plus longs et ardus à la confection promet un travail de sagouin, des oublis flagrants, une cuisson à la va-vite. Je sais qui travaille torse nu dès que j’ai les dos tourné, qui ne comprend pas le concept d’hygiène, qui l’assimile mais n’en a cure.

Nous savons tout cela, car nous connaissons le restaurant, les âmes qui l’habitent, comme le marin reconnaît chaque grincement du bois de son esquif, chaque claquement de voile. Étonnamment, si vous me demandez la composition exacte de notre salade périgourdine, je n’en ai aucune idée, et j’invente. Cependant, je sais, et n’est-ce plus important, si vous voulez, pouvez, ou devez, la manger.

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